Après “Bris de Silence”, Angela Kpeidja revient le 28 novembre 2024, dans les rayons des librairies avec “A l’encre de nos silences”. Le nouveau livre sera lancé en même temps qu’une bande dessinée. A quelques heures de la sortie de ses deux nouvelles oeuvres, cette figure emblématique de la lutte anti-harcèlement sexuel au Bénin dévoile leur trame dans cet entretien.
En 2021, Angela Kpeidja fait son entrée dans l’univers livresque avec son ouvrage Bris de silence. La journaliste, spécialiste de la santé à la SRTB, y raconte ses douloureuses expériences de femme harcelée et interpelle la société sur toutes les formes de violences contre les femmes.
A la suite du livre autobiographique, l’écrivaine se prépare à sortir deux autres œuvres le jeudi 28 novembre 2024. Il s’agit d’un roman intitulé “A l’encre de nos silences” et une bande dessinée titrée “Philognon, une voix qui s’élève”.
Dans cet entretien, Angela Kpeidja nous en dit plus sur son combat et les deux œuvres à lancer en pleine campagne mondiale des 16 jours d’activisme contre les violences basées sur le genre.
SRTB : Qu’est-ce qui vous a motivée à écrire “A l’encre de nos silences”, après le succès de votre premier livre Bris de silence ?
Angela Kpeidja : Après mon premier ouvrage “Bris de Silence” qui a essentiellement traité la question du harcèlement sexuel, je me suis cette fois-ci concentrée sur la prise en charge ou si vous voulez, sur le processus de riposte mise en place pour soutenir les victimes et survivantes d’agressions sexuelles dont le viol. Ceci, parce que sur le chemin de la réparation, j’ai constaté que ces personnes ne sont pas suffisamment prises en compte. Leur voix se mue trop souvent en un silence strident. Elles ne sont pas comprises; elles ne sont pas suffisamment écoutées si bien que la course pour les dommages et intérêts au bout des procédures judiciaires et juridiques reste le leitmotiv de la réponse au viol ou à l’agression sexuelle ! Sans oublier que ces procédures sont lentes et traumatisantes pour les victimes et survivantes. Comment fait-on pour qu’elles retrouvent un équilibre social qui prend en compte leur renaissance et leur réconciliation avec la communauté, la société ?
SRTB : Le harcèlement sexuel est un thème central dans vos deux ouvrages. Pourquoi avez-vous choisi de traiter ce sujet et quel message souhaitez-vous transmettre à travers vos œuvres ?
Angela Kpeidja : Le thème central de ce nouvel ouvrage est le viol bien qu’il sonne comme une suite du premier qui avait traité du harcèlement sexuel. Par contre, la bande dessinée “Phiolognon, une voix qui s’élève” traite encore cette fois du harcèlement sexuel parce que pour moi, il s’agit véritablement d’une problématique de développement. Le harcèlement sexuel érigé en normes dans plusieurs de nos administrations est un type de corruption qui ne permet pas un développement harmonieux ni de l’entreprise ni de la carrière des personnes, des employés. C’est vrai que la plupart du temps, dans ce couloir, on est focalisé sur les rêves brisés des femmes. Mais en réalité, pour peu qu’on y réfléchisse plus profondément, on se rend compte que c’est toute une économie compromise. Par exemple, ne pas mettre les profils qu’il faut à la place qu’il faut ou ne pas se battre à armes égales dans une entreprise n’a rien de pertinent pour sa productivité, son rendement; donc sa performance.
SRTB : Dans A l’encre de nos silences, vous mentionnez que l’ouvrage regroupe les vécus de femmes victimes de harcèlement sexuel, de viol. Comment avez-vous créé cet espace de confiance avec vos témoins, et quelles difficultés avez-vous rencontrées lors de la collecte de ces témoignages ?
- C’est une question d’empathie, de confidentialité et d’écoute bienveillante. Pour avoir vécu plusieurs types de violence, je suis naturellement plus encline à comprendre et à compatir au traumatisme subi par ces filles et femmes qui viennent à moi. De plus, sans fausse modestie, mon parcours malgré les violences subies est inspirant et pousse certaines filles et femmes dans des engrenages similaires à s’identifier à moi et à se battre au lieu de se laisser engloutir par ses violences. Mais, je ne raconte pas leurs histoires avec tous les détails parce que la confidentialité est de mise dans le mouvement N’aie pas peur, initié par nos soins. Et pour vous dire vrai, je ne force pas ces femmes victimes. Elles viennent naturellement vers moi. La plus grande difficulté pour moi, c’est de garder la tête sur les épaules parce qu’à l’épreuve de la pratique, je me suis rendue compte qu’il y a des victimes qui n’en sont pas vraiment et veulent parfois utiliser ma pugnacité pour régler des comptes.
SRTB : Quel a été le processus créatif derrière l’écriture de ce livre ? Avez-vous une approche particulière lorsque vous écrivez sur des sujets aussi sensibles ?
- Les métiers de l’art m’ont toujours passionnée. Donc, j’aime sortir mes lecteurs de leur retranchement pour les amener à vivre les émotions des victimes et survivantes que nous sommes à travers des scénarios bien fignolés. Dans le premier ouvrage, j’ai choisi de raconter mes déboires aux lecteurs dans la voiture qui me ramenait de Dassa à Cotonou avant de revenir à la situation du 1er Mai 2020 qui a été le déclic des bouleversements institutionnels et juridiques dans le pays. Cette fois, tout commence à Canal Olympia où j’ai été retenue pour participer à la prestigieuse cérémonie de talk show TEDx. Lors de mon discours, une survivante venue soutenir les oratrices est secouée par une crise d’angoisse. A la fin de la cérémonie, elle vient vers moi et me raconte son histoire… En tout cas, aucun lecteur ne sort indemne de mes œuvres. Préparez-vous à être bouleversé avec une forte envie de changer les choses après la lecture de À l’encre de nos Silences. Quant à la Bande dessinée Philognon, une voix qui s’élève, elle est tout naturellement une création artistique qui vend bien notre pays avec certaines anecdotes dans nos langues ethniques et des places historiques comme l’Etoile rouge, la place de l’Amazone ou encore la Tour administrative. Là dessus, il faut souligner que je suis avec le confrère Jacob Djossou, journaliste spécialisé dans les bandes dessinées.
SRTB : En tant qu’écrivaine engagée, comment percevez-vous l’évolution de la société béninoise face aux questions de harcèlement sexuel, et quel rôle pensez-vous que la littérature puisse jouer dans le changement des mentalités ?
- Vous touchez là à mon moteur ! En effet, je suis convaincue que le changement de mentalité, la transformation de la société béninoise dans le domaine passera par l’éducation et l’art. Quand je parle d’éducation, c’est non seulement celle que nous héritons de la cellule familiale, mais également celle que nous recevons à l’école. Ça veut dire que les outils didactiques doivent être conçus ou choisis en tenant compte de ce changement souhaité. En particulier, les ouvrages au programme doivent aujourd’hui relever l’importance de la confiance en soi à la fille comme au garçon en mettant l’accent sur le leadership féminin. Par exemple, il faut sortir des programmes scolaires, ces livres qui font croire à la petite fille que c’est papa seul qui peut acheter une voiture et que son rôle à elle, c’est la lessive, la cuisine et autres. Pour revenir au harcèlement sexuel, il est temps de remettre le fléau dans ses formes actuelles en choisissant de compléter aux ouvrages au programme dans les lycées et collèges, des livres beaucoup plus actuels. Ils auront l’avantage de prévenir la jeune fille et le jeune garçon sur les défis de notre époque. La littérature et l’art (le cinéma, le théâtre, la bande dessinée, le dessin animé) sont des outils avérés pour induire un changement de paradigme. Particulièrement pour l’amélioration de la condition féminine, la parole doit être donnée de différentes façons à la jeune fille et à la femme. Que ce soit à travers la littérature, le cinéma, les articles de presse, les reportages, les femmes et les filles doivent s’exprimer pour espérer changer les perceptions sociales sur les violences qu’elles subissent.
SRTB : Merci Angela Kpeidja.