Dans “Culture numérique” de ce jeudi 11 juin 2020, Maurice Thantan, s’intéresse au hashtag. Cet élément incontournable du web 2.0 est désormais présent partout. Des échanges banals sur les réseaux sociaux aux mouvements sociaux d’envergure en passant par les campagnes publicitaires et les matches de football, le hashtag est devenu le symbole absolu des mobilisations sociales à l’ère du numérique.
Hashtag : la petite histoire
Encore appelé mot-dièse ou un mot-clic, le hashtag est un mot-clé cliquable. Il est composé du signe typographique du croisillon qu’on a sur nos claviers appelé hash en anglais auquel est accolé un ou plusieurs mots (dénommés « tags » ou « étiquettes »). D’où l’appellation hashtag. Le hashtag permet soit de marquer un contenu avec un mot-clé afin de partager ce contenu et d’y faire référence plus facilement, soit de regrouper l’ensemble des discussions faisant référence à un même thème. Il est couramment utilisé sur internet où il a été popularisé grâce aux réseaux sociaux.
Pour la petite histoire, le hashtag a été inventé par Chris Messina, un designer Américain spécialiste des réseaux sociaux. Le 23 août 2007, cet utilisateur de Twitter propose dans un tweet d’utiliser le symbole dièse pour regrouper des messages traitant du même sujet. Il lance alors le premier hashtag avec le mot «#barcamp». Le signe est efficace et rapidement copié. Popularisé sur Twitter, le hashtag est désormais utilisé sur de nombreux autres réseaux sociaux tels que Facebook, Instagram ou Tumblr où il est devenu un enjeu de pouvoir comme l’affirmait en 2017 Nicolas Vanderbiest, un chercheur belge, spécialiste des phénomènes d’influence sur les réseaux sociaux.
how do you feel about using # (pound) for groups. As in #barcamp [msg]?
— Chris Messina (@chrismessina) August 23, 2007
Comment le hashtag est-il devenu le symbole absolu des mobilisations sociales voire des révolutions contemporaines ?
La montée en puissance du hashtag en tant qu’élément indispensable de mobilisation sociale s’est fait progressivement dans un contexte où l’utilisation du mot dièse s’est révélée essentielle dans la création de l’engagement sur les réseaux sociaux. Trois caractéristiques au moins ont favorisé dans le temps la toute puissance du hashtag et en ont fait un outil politique tout à fait remarquable.
Il y a d’abord son efficacité. C’est tout bête, mais le hashtag est très efficace pour organiser une mobilisation en ligne. Plus besoin d’envoyer des mails nominaux, des tonnes de SMS ou encore de déployer des affiches pour informer le public. Il vous suffit de donner vos informations en utilisant le hashtag choisi et les gens intéressés peuvent être au courant. Vous prenez un mouvement comme #TaxePasMesMo, par exemple, il est tout à fait impossible d’organiser une mobilisation de cette ampleur de façon classique et en si peu de temps.
Ensuite, il y a la simplicité du geste. C’est une fois encore tout bête mais le hashtag favorise une mobilisation un peu “fast-food”. Grâce au hashtag, la mobilisation devient rapide, pas chère et sans grand effort. Car il ne nécessite pas un investissement personnel comme se déplacer pour aller à une manifestation dans la rue ou de suivre un mouvement de grève pour lequel on prend un risque financier symbolique en cas de prélèvement salarial. En plus le hashtag offre une gratification sociale dans la mesure où lorsqu’on tweete sur un hashtag populaire et engagé on se fait voire et on a la satisfaction morale de participer à un mouvement de changement social.
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Enfin, le hashtag se présente comme une alternative. Le caractère décentralisé, ouvert, libre et participatif du hashtag offre une vraie alternative aux citoyens et permet à ces derniers d’inscrire à l’agenda des politiques des préoccupations qui n’auraient jamais émergé autrement. Ce caractère se vérifie souvent dans des pays où les médias de masse sont contrôlés par l’appareil étatique ou des lobbies. C’est aussi valable en période de catastrophe naturel.
Le hashtag : déterminant unique indispensable de la réussite des mouvements sociaux de notre époque ?
Oui les mobilisations sociales et politiques post années 2000 vont nécessairement passer par le hashtag car ce dernier est devenu un vrai outil politique capable d’amplifier et de servir de catalyseur à des problématiques portées directement par les utilisateurs et donc par les citoyens sans intermédiation des groupes organisés classiques comme les partis politiques, les syndicats ou encore les partis politiques. C’est ainsi qu’aujourd’hui, le hashtag est davantage un objet de label, pour une campagne de Coca-Cola autant que d’un parti politique ou d’une organisation de la société civile, le but étant de concentrer les conversations autour d’un sujet pour se faire entendre.
Toutefois, il faut relativiser. Car un hashtag, aussi efficace soit-il, ne suffit pas toujours à lui tout seul pour obtenir des résultats concrets d’une campagne de mobilisation sociale. Parfois, le hashtag sert à créer un mouvement de prise de conscience collective sur un sujet d’intérêt délaissé par les médias de masse sans pour autant permettre de faire bouger les lignes dans les cercles de pouvoir. Et on l’a vu dans certaines campagnes comme #BringBackOurGirls. Malgré que le hashtag ait été relayé par de très grandes personnalités comme l’ancienne première dame des Etats-Unis Michele Obama, les jeunes filles n’ont pas été libérées pour autant.
Pour finir, quels sont les hashtags qui ont marqué ou qui continuent de marquer l’histoire sur les réseaux sociaux ?
C’est une excellente question. Et je vous répondrai en deux temps. D’abord, je vous présenterai une liste de cinq hashtags spontanés qui ont marqué les esprits de part le monde jusqu’au Bénin. Et je vous préviens, c’est une liste forcément subjective.
En premier lieu, je mentionne #JeSuisCharlie. C’est un hashtag qui est désormais devenu célèbre et qui a permis, en 2015, aux internautes du monde entier d’exprimer leur émotion et leur solidarité à la suite des attentats à Paris. A l’époque, il avait été tweeté plus de 5 millions de fois en deux jours après l’attaque de la rédaction du journal satirique “Charlie Hebdo”.
En deuxième lieu, je retiens #BringBackOurGirls. Signifiant littéralement “rendez-nous nos filles”, ce hashtage devenu célèbre aussi avait été initié pour amplifier la vague de soutien internationale déclenchée par l’enlèvement, en avril 2014, à Chibok, dans le nord-est du Nigeria, de 276 lycéennes par les islamistes de Boko Haram.
En troisième lieu, j’ai retenu le slogan #BlackLivesMatters. Encore d’actualité aujourd’hui, ce hashtag a été utilisé pour la première en 2013. Il avait été créé par l’activiste afro-féministe, Alicia Garza, en réaction au meurtre de Trayvon Martin, un adolescent afro-américain. Depuis, le hashtag revient régulièrement dans les manifestations pour dénoncer la violence policière contre les afro-américains aux Etats-Unis.
Le hashtag #TaxePasMesMo, vous vous souvenez Serge, est sans doute celui qui a le plus marqué les esprits au Bénin. Il a été lancé et popularisé sur les réseaux sociaux en 2018 en réaction à la décision du gouvernement d’augmenter les frais d’accès à certains services internet dans notre pays. On se souvient que dans la foulée, le gouvernement avait rapporté sa décision.
5- #wasexo
Le hashtag wasexo est un autre mot-dièse très populaire au Bénin. Il a été créé en 2015 par Patrice Tossavi un ingénieur informatique béninois à une époque où les communautés africaines se démarquaient sur Twitter grâce à des hashtags identitaires. Ainsi, pour le Togo, on a créé le hashtag Gnadoe, au Sénégal, c’est Kebetu, et Iwili au Burkina. C’est donc le wasexo qui s’est imposé pour le Bénin.
En second lieu, il y a des hashtags qui sont désormais ancré dans l’univers des réseaux sociaux d’une façon générale. Parmi eux on peut citer le #NowPlaying ou tout simplement #NP, c’est un hashtag utilisé par les internautes pour partager le contenu musical qu’ils écoutent en temps réel. Son équivalent pour les films et séries est #NowWatching ou #NW. Dans la même logique, il y a le hashtag #ThrowbackThursday ou #TBT. Signifiant littéralement “Grand déballage du jeudi”, c’est une tradition sur les réseaux sociaux qui consiste à ressortir et diffuser le jeudi de vieilles photos de soi. Enfin, le hashtag #FollowFriday est très populaire sur Twitter. Les utilisateurs l’utilisent les vendredis pour recommander à leurs abonnées des comptes à suivre. On estime que ce hashtag a été tweeté plus d’un demi-milliard de fois depuis sa création en janvier 2009.